Vers une annulation du financement de la Banque mondiale ?
Dans la perspective de la modernisation des systèmes de transport de sa grande métropole économique, le Gouvernement camerounais a sollicité le partenariat de la Banque mondiale en vue de concevoir et de financer le Projet de Mobilité Urbaine de Douala.
Répondant à cette sollicitation et après plus de trois ans d’études et d’évaluation, le 02 juin 2022, le Conseil d’Administration de la Banque mondiale a approuvé deux prêts d’un montant total de 420 millions de dollars (environ 250 milliards de F CFA). Ces prêts sont issus (i) l’un de 202 millions de dollars du guichet BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) qui accorde des prêts à des taux non-concessionnels et l’autre (ii) de 218 millions de dollars du guichet IDA (Association Internationale de Développement) qui accorde des crédits à taux concessionnel proche de zéro.
Juin 2022 – mai 2024, deux ans que les accords de financement sont en attente de signature
Près de deux ans après l’approbation des prêts par la Banque mondiale, les accords de financement qui sont les instruments juridiques liant les deux parties, ne sont pas encore signés par le Cameroun. Or les Directives Opérationnelles de l’institution financières disposent que « Si les accords juridiques ne sont pas signés dans les 18 mois suivant l’approbation d’un prêt, la Banque normalement retire l’offre de prêt. Exceptionnellement, le management de la Banque peut décider d’accorder à l’Emprunteur un délai supplémentaire pour signer les accords ». Dans le cas du Projet de Mobilité Urbaine de Douala, le délai de 18 mois est expiré depuis novembre 2023. Plus exactement, cela fait 24 mois que les prêts ont été approuvés et les accords de financements sont en attente d’être signés. Selon l’aide-mémoire d’une mission datant de novembre 2022, il était envisagé que les accords de financement seraient signés en mars 2023 sur la base d’un chronogramme du processus national de maturation du projet qui inclut entre autres les étapes devant aboutir au décret habilitant le MINEPAT à signer les accords. Au regard des données actuelles, les risques d’annulation des financements de la Banque mondiale sont réels sauf à considérer que le Gouvernement mettra à la disposition du management de la Banque mondiale des arguments consistants permettant de plaider une prorogation exceptionnelle du délai de signature des documents juridiques.
Le BRT pour atténuer les souffrances des populations et donner un lustre à la ville
Compte tenu de la dégradation avancée et persistante des infrastructures urbaines de la ville de Douala et son corollaire sur les activités économiques et la qualité de vie des populations, le Projet de Mobilité Urbaine de Douala constitue une véritable bouée de sauvetage pour les populations et donnerait un certain lustre à cette ville qui se meure.
Faut-il le rappeler, ce projet est constitué de cinq composantes notamment (i) L’Appui au renforcement institutionnel et à la professionnalisation des opérateurs de transport public existants (équivalent à 11 millions de dollars financés par la BIRD), (ii) L’Installations des systèmes et l’acquisition des matériels roulants d’infrastructures du Bus Rapide Transit (BRT) (équivalent de 470 millions de dollars dont 355 millions de dollars financés par la BIRD et l’IDA ), (iii) Le Développement urbain axé sur le transit le long du système BRT et l’aménagement des espaces publics autour des stations BRT (42 millions de dollars sur fonds BIRD), (iv) le renforcement de capacité et l’assistance technique à l’Unité de Gestion du Projet, (équivalent à 17 millions de dollars, dont 12 millions de dollars financés par la BIRD et 5 millions de dollars par les fonds de contrepartie) et (v) un contingentement d’intervention urgente et rapide en cas de crises multiformes pouvant survenir lors de la mise en œuvre du projet. La composante phare reste incontestablement la réalisation du système BRT dont le Maire de la Ville, maitre d’ouvrage du projet, parle avec emphase tant ladite composante donnerait une allure de modernité à la métropole économique de plus de cinq millions d’habitants et constituerait la plus grande réalisation infrastructurelle et transformationnelle exécutée à Douala depuis des décennies.
Le projet de corridor Douala – Ndjamena également dans l’attente
Au-delà du projet de Mobilité Urbaine de Douala qui risque de pâtir du retard de la signature de l’accord de financement, un examen du portefeuille de la Banque mondiale au Cameroun révèle d’autres situations similaires. A titre d’illustration, on pourrait relever le Projet Régional d’amélioration de la performance du Corridor de Transport Douala – Ndjamena, financé entre autres par un crédit IDA de 275,9 millions d’Euros soit environ 181 milliards de F CFA. Ce financement a été approuvé par le Conseil d’Administration de la Banque mondiale le 15 février 2022. Le décret habilitant le MINEPAT à signer cet accord a été signé le…21 février 2024 (plus de deux ans après). Bien que l’accord de financement ait été finalement signé, le projet n’est pas encore effectif du fait du retard de signature de l’accord de projet entre l’Etat et CAMRAIL, notamment en ce qui concerne la maitrise d’ouvrage déléguée. Il faut noter que ce projet régional implique le Cameroun et le Tchad dont les autorités ont signé leur composante de financement le 28 avril 2022 c’est-à-dire deux mois seulement après l’approbation du crédit.
D’une manière générale, les préjudices liés au délai de signature des accords de financement et d’entrée en vigueur de ces accords sont de plusieurs ordres et concernent toutes les parties prenantes y compris la Banque mondiale. En effet, depuis quelques mois, les plénipotentiaires de l’IDA ont entamé le processus de reconstitution des fonds du 21ème cycle de l’IDA pour la période 2025-2028. Ce processus est engagé dans un contexte particulier de raréfaction de ressources au plan mondial. Il serait incongru de solliciter un effort supplémentaire des principaux contributeurs alors même que des ressources mises à disposition de certains Etats à des taux d’intérêt nuls ou sous forme de don, ne sont pas consommées. Cette incongruité a été évoquée récemment lors du sommet de reconstitution de l’IDA21 qui s’est tenu de 28 au 29 avril 2024 à Nairobi au Kenya. Outre le retard dans la signature des accords de financement, le rythme de décaissement est l’un des plus faible des partenaires de la Banque mondiale. Le Cameroun pourrait être perçu comme l’un des pays qui rament à contre-courant des efforts de la communauté internationale à mettre à la disposition des pays pauvres des ressources longues à des conditions avantageuses pour le financement de leur développement. Rappelons que parmi les 75 pays éligibles aux ressources IDA, 39 sont africains.
Emmanuel Noubissie Ngankam
Analyste Economique
Ancien Haut Fonctionnaire de la Banque mondiale