L’Incertitude

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Péril sur l’économie camerounaise

A l’initiative du Groupement des Entreprises du Cameroun (GECAM) se tiendront les 26 et 27 février 2025 à Yaoundé les « Rencontres Economiques du Cameroun ». Cet événement tel que révélé par le patronat, a pour objectif majeur d’identifier et de proposer des pistes pour « la mise en place d’un véritable plan de relance économique global et sectoriel, avec des politiques publiques et de financement plus inclusives et adaptées au contexte, une réglementation adéquate, impulsée par un dialogue public-privé fécond ».

Cette initiative qui ambitionne de mettre autour d’une même table entre autres les opérateurs économiques et le gouvernement, a le mérite de raviver la plateforme de dialogue entre les secteurs public et privé depuis la mort du Cameroon Business Forum dont l’ultime session s’est tenue en 2019 avant que le GICAM (à l’époque), sous le regard médusé et impuissant du Gouvernement, ne renverse la table de la 12ème session qui aurait dû se tenir en 2021.

Sans présager du contenu des délibérations et des conclusions des « Rencontres Economiques du Cameroun », il nous semble opportun de mettre en exergue l’une des plus grandes hypothèques qui pourrait mettre en péril l’économie camerounaise, une véritable gangrène qui a pris plusieurs formes et s’est métastasée dans les sphères politique, économique, sociale et même internationale. Cette gangrène a un nom : l’incertitude qui rime avec imprévisibilité, indécision, inertie, incohérence, pusillanimité et vulnérabilité. Lors de la cérémonie de rentrée économique du patronat qui a eu lieu le 18 septembre 2024, le Président du GECAM ne s’est pas embarrassé de précautions langagières pour dénoncer ce qu’il appelle « le manque de visibilité pour l’entrepreneur et l’investisseur ». Selon Célestin Tawamba, « les investisseurs sont usés, découragés, manquent de boussole et d’énergie ».

Quel est donc la boussole qui guide l’action publique au plan économique si la SND 30 a perdu le Nord ?

L’une des principales manifestations de cette incertitude est le cadre de référence de l’économie camerounaise qu’est la Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 (SND30) dont nous n’avons de cesse de décrier l’obsolescence et l’impertinence à plusieurs égards. Un constat patent et corroboré entre autres par le Ministre des Finances qui, lors du lancement de l’exécution du budget 2025 le 15 janvier dernier à Buea, a d’aplomb, relevé que le taux de croissance du PIB de 4% tel que prévu en 2025 est bien loin, très loin de l’objectif de 8% en moyenne projeté pour la période 2020-2030 et consigné dans la SND30. Et pourtant toutes les sorties publiques y compris celles du Président la République, font référence à ce document dont le Cameroun s’éloigne chaque jour des objectifs. Quelle est donc la boussole qui guide l’action publique au plan économique si la SND 30 a perdu le Nord ? En dehors du budget qui est annuel, le Cameroun ne dispose donc pas d’un outil de pilotage à moyen et long terme de son économie ? Quel est le référentiel pour les investisseurs ? Ce n’est donc pas un hasard si les organisateurs des « Rencontres Economiques du Cameroun » ambitionnent de réfléchir à la mise en place « d’un véritable plan de relance économique », comme pour indiquer qu’il n’en existe pas un.  

Ce plan de relance économique, aussi pertinent qu’il peut être, devrait être financé. Or les finances publiques du Cameroun sont contraintes par des incertitudes multiples notamment le rétrécissement du marché sous-régional des titres publiques saturé par la forte exposition des banques (80% des souscriptions) et les mesures de pondération récemment prises par la COBAC. Ce rétrécissement s’accompagne du renchérissement du coût de financement qui pour certaines OTA (Obligation de Trésor Assimilée) atteignent 7 voire 8%. Quant aux financements extérieurs, l’appui budgétaire de la Banque mondiale de 200 millions de dollars (environ 120 milliards de F CFA) attendu en décembre 2024 sera probablement effectif en mars 2025 si toutes les conditionnalités sont levées. Pour ce qui est du FMI, le Cameroun sollicitera-t-il un nouveau programme alors même que celui en cours s’achève en 2025 après une prorogation d’un an. Quelles seraient les conditionnalités d’un éventuel nouveau programme ?

Au plan politique, les manifestions de l’incertitude sont nombreuses mais la sonnette d’alarme a été tirée en novembre 2024 par l’agence de notation Fitch qui sans circonvolution, a maintenu à « B » la note souveraine du Cameroun avec une « perspective négative », pointant les risques politiques et potentiels de transition. Le rapport de Fitch affirme « Le président Paul Biya, âgé de 92 ans et au pouvoir depuis 1982, se présentera probablement à l’élection présidentielle, prévue en octobre 2025. Les tensions sociales et politiques pourraient s’intensifier à l’approche de l’élection, ce qui accroîtrait les inquiétudes quant à la stabilité politique du Cameroun, à la continuité des politiques et à l’engagement en faveur des réformes. L’absence de plan de succession et les divisions et rivalités politiques au sein du parti au pouvoir exacerbent le risque d’une transition désordonnée du pouvoir ». Comme pour justifier sa note, Fitch va plus loin en publiant le score du Cameroun en ce qui concerne l’évaluation ESG (Environnement Social et Gouvernance) qui est de « 5 » sur une échelle allant de « 1 » Excellent à « 5 », Très mauvais. Le rapport dit explicitement « Le Cameroun a un score de pertinence ESG (RS) de « 5 » pour la stabilité politique et les droits ainsi que pour l’état de droit, la qualité institutionnelle et réglementaire et le contrôle de la corruption. Ces scores reflètent le poids élevé que les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale (WBGI) ont dans notre modèle exclusif de notation souveraine. Le Cameroun a un faible indice WBGI de 16,2 sur 100, ce qui reflète l’absence d’un historique récent de transitions politiques pacifiques, une faible capacité institutionnelle, une application inégale de l’état de droit, un niveau élevé de corruption et des problèmes de sécurité persistants ». Une telle évaluation est marquée du sceau de l’incertitude sur les perspectives du Cameroun et constitue un repoussoir pour les investisseurs qui ont horreur de l’imprévisibilité. Si le Cameroun était une entreprise cotée en bourse, la valeur de son action aurait dégringolé. 

L’incertitude politique en 2025 et l’absence de visibilité ont été sanctionnées par l’agence de notation Fitch

Cette incertitude politique et cette absence de visibilité relevées et sanctionnées par Fitch sont amplifiées par l’actualité récente au Cameroun marquée par des prises de position et des manœuvres autour de l’élection présidentielle, manœuvres qui à certains égards confinent au masochisme ou même à la pyromanie. Dans un tel contexte, le risque-Cameroun est à son pic ce qui est de très mauvais augure pour le climat des affaires et le secteur privé qui, faut-il le rappeler, assure au Cameroun 75% de la Formation Brut de Capital Fixe (FBCF) c’est à dire l’Investissement, vecteur de croissance.

Cette perspective de désenchantement, Valentin Siméon Zinga l’analyse dans l’éditorial intitulé « La Grande Fatigue » de l’édition 046 du journal Ligne d’Horizon. D’après VSZ, « La tentation pour le président de la République de s’installer durablement dans la logique d’un régime perpétuel, est présente dans tous les esprits. Cette éventualité a fini par susciter agacement et exaspération chez des citoyens littéralement désappointés par une gouvernance incantatoire, fatigués par une gestion néopatrimoniale de l’Etat et par un système dont l’incompétence et la médiocrité ont conduit au déclassement du pays, contraignant les autorités à se consoler d’une certaine ‘résilience’ ».

Cameroun, Qui gouverne ?

Les signes de la « La Grande Fatigue » sont chaque jour perceptibles et l’actualité récente corrobore un délitement du pouvoir au point où des collaborateurs du Chef de l’Etat peuvent lui faire dire n’importe quoi y compris des mensonges vites rattrapés par les faits. L’aigrefin présenté comme un modèle dans le discours à la jeunesse le 10 février dernier en est une parfaite illustration. Qui a donc pu faire porter le bonnet d’âne au Président de la République ? Cameroun, Qui Gouverne ? C’est le titre d’un ouvrage de Pierre Flambeau Ngayap paru en 1983 et qui à l’époque dépeignait une incertitude à la tête de l’Etat. 42 ans après, la question redevient aussi pertinente même si le contexte a changé.

La torpeur ambiante est amplifiée par ce que Thomas Babissakana dans une Lettre Ouverte au Président de la République publiée en novembre 2024 qualifie « d’essoufflement et de déclin » qu’il étaye par des faits qui en rajoutent à l’incertitude, à l’absence de visibilité et à la vulnérabilité du Cameroun. Ces faits sont entre autres, le fonctionnement du parti au pouvoir le RDPC dont le dernier congrès, organe suprême, s’est réuni pour la dernière fois en septembre 2011, bientôt 14 ans déjà. Comme le souligne Babissakana, « une entreprise dont les organes de direction et de gouvernance ne se réunissent pas régulièrement est de fait en léthargie et ne peut se targuer de bonnes performances ». Au niveau de l’Etat, le dernier conseil des ministres s’est tenu en janvier 2019 alors que la dernière session du conseil supérieur de la magistrature date du 10 aout 2020 avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer sur le fonctionnement du pouvoir judiciaire notamment 5 promotions d’auditeurs de justice sorties de l’ENAM en déshérence.

L’incertitude et l’indécision ont provoqué le départ brutal de Rio Tinto du capital d’Alucam aujourd’hui en faillite

Comme indiqué plus haut, l’incertitude rime avec indécision, pusillanimité et inertie qui peuvent annihiler les opportunités d’investissement. Le Cameroun en a fait l’expérience et l’exemple le plus patent est le retrait brutal (c’est le cas de le dire) de Rio Tinto du capital de Alucam en 2014 alors même que ce major mondial du secteur minier incarnait un avenir radieux pour la filière bauxite-aluminium du Cameroun. Les tergiversations autour du développement des centrales hydroélectriques notamment Nachtigal et Song Bengue ont fini par tuer le rêve de porter les cuves d’électrolyse d’Edéa à 300.000 tonnes et surtout de mettre en exploitation le gisement de bauxite de Minim Martap dont la suite logique aurait été le développement d’une unité de production d’aluminium d’une capacité de 800.000 voire 1000.000 de tonnes à Kribi. Le Cameroun en pâti à ce jour et la situation de faillite structurelle d’Alucam en est l’une des conséquences. Rappelons que pour l’exercice clos au 31 décembre 2023, le résultat net d’Alucam était négatif de 23,7 milliards de F CFA, qu’à la même date les pertes cumulées (report à nouveau) étaient de 60,7 milliards et que les capitaux propres qui s’élevaient à 28,6 milliards de F CFA avaient été totalement absorbés par les pertes. L’Etat qui détient 93,3% du capital (dont les 47% abandonnés par Rio Tinto) maintient Alucam dans un coma artificiel insoutenable. Des leçons en ont été tirées ?

La situation n’est certes pas similaire, cependant les incohérences autour de l’exploitation du fer de Mbalam-Nabeba pourraient conduire à une grande désillusion. Ce projet porté par le Cameroun et le Congo Brazzaville est fortement miné par des incertitudes qui pourraient à terme hypothéquer sa réalisation malgré la forte médiatisation qui confine plus à de l’incantation.

La première hypothèque est le contentieux qui oppose les deux Etats à l’opérateur Sundance Resources. L’affaire est encore pendante devant la Cour d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) alors que la compagnie australienne réclame au Cameroun 5,5 milliards de dollars de dommages soit environ 3300 milliards de F CFA. Dans le même temps le contentieux qui oppose Sundance à la République du Congo n’est pas encore vidé et par ailleurs la saga judiciaire se complique avec les relations tendues entre le Cameroun et son propre avocat-conseil le cabinet Jeantet pour des retards de paiement d’honoraires.

Des incertitudes et incohérences qui pourraient hypothéquer le projet d’exploitation de fer de Mbalam-Nabeba

Exit donc Sundance Resources et bienvenue à AutSino Resources Group Ltd et Bestway Finance, nouveaux partenaires du Cameroun dans le développement du projet. Malgré ce qui ressemble à un patacaisse, des jalons du projet se mettent en place notamment avec la pose de la première pierre des travaux de construction du complexe sidérurgique de Mboro à Kribi le 30 décembre 2024 par le Premier Ministre. Mais les spécialistes du secteur se demandent si la cognée n’a pas été placée avant le manche ? Quid donc de la ligne de chemin de fer de près de 600 km qui devrait permettre l’évacuation du minerai au port de Kribi et dont les travaux supposés être réalisés par AuSino Resources n’ont pas encore démarré. La mise en cohérence des trois principales infrastructures connexes du projet à savoir la ligne de chemin de fer, le complexe sidérurgique et le terminal minéralier du port de Kribi permettrait de lever en partie des incertitudes qui hantent ce projet d’une indéniable importance. En partie seulement, car la tendance baissière depuis environ trois ans du marché des aciers consécutifs à l’effondrement de la demande chinoise (70% des importations mondiales de fer) obère la rentabilité des projets d’exploitation de fer dans le monde. De 158,2 dollars en 2021, la tonne de fer se négocie autour de 95 dollars en début de l’année 2025.

En tout état de cause, la brume qui obscurcit la visibilité du navire Cameroun pourrait s’épaissir davantage en 2025. Aux incertitudes endogènes et bien d’autres événements imprévisibles comme ce fut le cas en 2020 avec le Covid-19, viennent se greffer des externalités sur lesquelles personne n’a prise notamment, le contexte international pollué par la brutalité et les pulsions hégémoniques d’un Donald Trump qui veut mettre le monde à ses pieds, la volatilité des marchés financiers, le dérèglement climatique et ses conséquences dont les changements phénologiques ne sont pas des moindres.

Emmanuel Noubissie Ngankam

Analyste Economique

Ancien haut fonctionnaire de la Banque mondiale

enoubissie7897@gmail.com

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