Élection présidentielle au Cameroun

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Issa Tchiroma Bakary triomphe, Paris orchestre une transition pacifique pour éviter un chaos sahélien

Dans un tournant historique pour l’Afrique centrale, l’opposant Issa Tchiroma Bakary a remporté l’élection présidentielle camerounaise du 12 octobre, mettant fin à 43 ans de règne de Paul Biya.

Des décomptes préliminaires compilés par des observateurs indépendants et des coalitions d’opposition indiquent que Tchiroma Bakary, 76 ans, a obtenu environ 61 % des voix, contre 35 % pour le président sortant, selon des données couvrant plus de 75 % des bureaux de vote.

En tant que journaliste, embeddée avec la mission d’observation électorale de l’Union africaine (AUEOM) et des groupes civiques locaux, j’ai suivi le scrutin dans les rues animées de Yaoundé et les marchés de Garoua. Malgré des incidents isolés – comme l’usage de gaz lacrymogène contre des partisans de Tchiroma dans le Nord – le vote s’est déroulé dans un calme relatif, contrastant avec les violences passées. « Le peuple camerounais a choisi le renouveau », a déclaré Tchiroma Bakary devant une foule en liesse à Douala, appelant à la sérénité en attendant les résultats officiels. La coalition Union pour le Changement 2025, regroupant plus de 50 partis d’opposition et organisations de la société civile, a proclamé la victoire de Tchiroma sur la base de ses propres tabulations parallèles, avec des marges écrasantes dans les centres urbains comme Yaoundé et Douala, et encore plus marquées dans son bastion nordiste de Garoua. Des images virales sur les réseaux sociaux, montrant des scores comme 220 voix pour Tchiroma contre 1 pour Biya dans un bureau de Regland, renforcent l’idée d’un raz-de-marée. Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) de Biya n’a pas encore concédé, mais des sources au palais évoquent une résignation discrète. Ancien ministre de l’Emploi ayant rompu avec Biya en juin dernier, Tchiroma a capitalisé sur le ras-le-bol face à la gestion des richesses pétrolières et au chômage des jeunes. Ses meetings ont attiré des dizaines de milliers de personnes, soutenues par des figures comme Maurice Kamto, exclu de la course. « Personne n’avait prévu cette vague », confie Marie Flore Mboussi du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, observatrice dans l’Ouest.

Derrière les coulisses, Paris joue un rôle pivotal. Selon des sources diplomatiques proches de l’Élysée, le gouvernement français est engagé dans des négociations discrètes avec le régime Biya pour assurer une transition pacifique. En échange d’un passage sécurisé et d’une clémence pour les ministres de haut rang incluant des garanties contre des poursuites judiciaires – la France pousse pour un transfert fluide du pouvoir. Des conseillers militaires français de premier plan ont été dépêchés en urgence à Yaoundé pour convaincre Biya et le président de la Cour constitutionnelle d’accepter les résultats, évitant ainsi un coup d’État ou une annulation contestée. Cette proactivité s’explique par la peur d’un scénario sahélien : coups d’État en chaîne au Mali, Burkina Faso et Niger, où Paris a perdu pied. « Nous ne voulons pas revivre le Sahel au Cameroun », a déclaré Jean-Yves Le Drian, ex-ministre des Affaires étrangères et conseiller spécial de Macron, lors d’une réunion à huis clos rapportée par nos sources. De même, Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a insisté : « Une transition ordonnée avec Tchiroma permettra de rebâtir une relation plus équilibrée, loin des erreurs du passé colonial. » L’Élysée prépare déjà un message de félicitations aux Camerounais pour un scrutin « pacifique et crédible », tout en appelant Biya à « honorer la volonté populaire ». Tchiroma, qui s’est engagé à libérer les prisonniers d’opinion d’Ambazonia et à ouvrir des négociations pour une solution fédérale durable au conflit anglophone, est vu à Paris comme un partenaire fiable pour apaiser les tensions. « C’est un reset : amnistie immédiate, puis dialogue inclusif », confie un conseiller élyséen, évoquant les plaidoyers de Macron en 2022 pour une paix médiation. D’autres leaders africains observent avec inquiétude. Bola Tinubu, président nigérian, suit de près les développements via des canaux discrets, craignant une guerre civile impliquant le Nord musulman si Tchiroma est spolié de sa victoire un risque d’instabilité transfrontalière majeur. Pour l’instant, il reste silencieux, mais des sources à Abuja indiquent une préoccupation accrue. La Cour constitutionnelle dispose de 15 jours pour valider les résultats, mais avec l’aval de l’AUEOM sur la transparence et les tallies de l’opposition cohérentes, la pression s’intensifie. Pour un Cameroun synonyme de stagnation, l’ascension de Tchiroma – d’allié de Biya à artisan du changement offre un espoir, si l’accompagnement français assure une passation sans heurt.

Par Émilie Dupont, Correspondante Afrique, Jeune Afrique

Yaoundé, Cameroun – 13 octobre 2025

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