Usure du pouvoir

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La malédiction des règnes trop longs

On vante souvent la longévité politique comme un signe de stabilité. Pourtant, l’histoire récente montre qu’un dirigeant qui reste trop longtemps au pouvoir prépare rarement l’avenir : il le compromet. Monarchies finissantes, dictatures charismatiques ou républiques « démocratiques » le scénario est presque toujours le même. Plus le règne dure, plus le choc de la succession est violent.

De nombreux cas historiques sur plusieurs continents servent souvent de repères. 

En Europe on peut sans être exhaustif citer les cas de François-Joseph en Autriche-Hongrie, TITO en Yougoslavie, CEAUSESCU en Roumanie etc… En Afrique, Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, les BONGO aux Gabon, MOBUTU au Zaïre devenu CONGO, Blaise COMPAORE au BURKINA FASO, BEN Ali en Tunisie.

Dans tous ces cas, les règnes longs n’ont pas constitué une garantie de stabilité mais une dette politique qu’on paie au moment de la transition.

Analysons de plus près quelques cas dans l’histoire moderne :

François-Joseph, qui dirige l’Autriche-Hongrie pendant 68 ans, cristallise un empire déjà fissuré : nationalités rivales, immobilisme institutionnel, modernisations repoussées. À sa mort en 1916, l’édifice vacille et disparaît en moins de deux ans.

Tito incarne la Yougoslavie de 1945 à 1980. Il tient ensemble par autorité et équilibre artificiel Serbes, Croates, Slovènes ou Bosniaques. Dix ans après sa mort, ce sont l’éclatement, les guerres et les nettoyages ethniques. Mobutu règne sur le Zaïre pendant 32 ans : clientélisme, armée privatisée, institutions vitrines à sa solde. Dès sa chute en 1997, le pays s’enfonce dans un conflit d’ampleur continentale avec des millions de morts.

Ce qui frappe dans ces trajectoires, ce n’est pas l’idéologie ou le régime. Ce sont les mécanismes structurels : personnalisation du pouvoir, neutralisation des opposants, absence d’alternative, report perpétuel de la succession. Le chef devient l’État. À sa disparition, tout se délite ou explose. L’Afrique postcoloniale offre d’autres exemples tout aussi éclairants. En Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny incarne l’indépendance, la croissance et la paix apparente pendant 33 ans (1960-1993). “Le Vieux” tient les équilibres régionaux, absorbe les tensions par le compromis et maintient un lien étroit avec Paris. Mais il ne prépare ni relevé, ni réforme profonde, ni institutions autonomes. À sa mort, la lutte pour le pouvoir entraîne coup d’État, rébellion et guerre civile. La stabilité qu’il incarnait reposait sur lui seul.

Au Gabon, le long règne prend la forme dynastique. Omar Bongo arrive au pouvoir en 1967 et y reste plus de 40 ans. Il verrouille le système par la rente pétrolière, la cooptation et un multipartisme de façade. À sa mort en 2009, son fils Ali lui succède, prolongeant l’illusion d’une continuité maîtrisée. Mais derrière les décennies de contrôle, les tensions s’accumulent : contestations électorales, inégalités croissantes, institutions instrumentalisées. En 2023, l’armée renverse Ali Bongo quelques jours après sa “réélection”. Le système semblait solide ; il n’était que figé. Face à ces expériences, une question s’impose : pourquoi les longs règnes produisent-ils l’instabilité qu’ils prétendent prévenir ? La raison ne tient pas qu’à l’autoritarisme, mais à la logique du pouvoir prolongé.

Rester longtemps exige de neutraliser les concurrents, retarder la relève, concentrer les décisions. Réformer, c’est risquer de se fragiliser. Anticiper sa succession, c’est reconnaître qu’on n’est pas éternel. Alors on diffère. On attend. Et le futur se dégrade en arrière-plan.

Monarchies et dictatures modernes ne s’effondrent pas de la même manière, mais pour des raisons proches. Dans les premiers cas, le souverain se confond avec un ordre ancien que plus personne n’ose transformer. Dans les seconds, le régime se construit autour d’un homme à qui tout doit et dont rien ne doit survivre. Dans les républiques patrimoniales, le pouvoir devient patrimoine du clan et l’État un héritage privé. Il existe pourtant des exceptions. Franco, en Espagne, prépare la transition en restaurant la monarchie, ce qui permet à Juan Carlos d’ouvrir le chemin de la démocratie. Hassan II au Maroc balise l’avenir de Mohamed VI. Les monarchies parlementaires européennes, où le chef incarne sans régner, échappent par construction à ce piège. Mais ces cas confirment la règle : ce n’est pas la durée du règne qui crée la stabilité, c’est la solidité des institutions qui l’entourent.

La théorie politique classique défend l’idée qu’un pouvoir long permet la continuité, la vision et la cohérence. L’histoire contemporaine révèle une autre vérité : la longévité produit l’immobilisme, l’usure et la dépendance. Les dirigeants qui règnent trop longtemps étouffent les contre-pouvoirs, évacuent les alternatives et dévitalisent les structures censées leur survivre. Ils ne construisent pas leur héritage : ils ensevelissent. La malédiction des longs règnes tient en une formule : tant que le chef tient, tout tient ; quand il tombe, rien ne tient. La mort de Tito ouvre la voie aux guerres balkaniques ; celle d’Houphouët-Boigny aux crises ivoiriennes ; la fin du système Bongo à un coup d’État ; l’exil de Mobutu à l’effondrement du Congo. Dans chacun de ces cas, c’est moins le dirigeant qui a échoué que l’État qu’il a empêché d’exister sans lui. Ce que l’on présente comme de la stabilité n’est souvent qu’un sursis. Les illusions de la longévité masquent la fragilité accumulée. Les sociétés ne manquent pas toujours de chefs. Elles manquent d’institutions assez fortes pour continuer sans.

La durée tue l’État à petit feu et un long règne c’est dans la plupart de cas un court futur.

Richard NOUNI

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